25 Août 2012 Samsung a perdu une bataille. La guerre ?

(Cet article a été publié il y a 11 ans.)

Après le jugement de ce 24 août, qui constitue une sévère défaite pour Samsung, plusieurs questions restent ouvertes, et le présent billet (écrit très rapidement juste après le verdict) explore quelques pistes de réflexion.

Le jugement en langue originale (http://www.scribd.com/doc/103860673/12-08-24-Apple-Samsung-Amended-Jury-Verdict ) peut être trouvé sur l’excellent site Fosspatents de Florian Muller (http://www.fosspatents.com ). Un résumé assez détaillé sur le fil Twitter de Me Eolas (https://twitter.com/Maitre_Eolas ).

Tout d’abord, il est incontestable que ce jugement constitue une grande victoire pour Apple. En l’état, Samsung est condamnée à payer plus d’un milliard de dollars de dommages et intérêts. Et même si Samsung va sûrement chercher à obtenir du juge que le jugement soit modifié (ce qu’un juge californien peut faire si le jury a commis une erreur de droit) cela paraît peu probable. En revanche, le juge Koh peut rendre deux décisions qui rendraient la défaite encore plus sévère pour le constructeur sud-coréen : Apple va probablement demander que le montant des dommages et intérêts soit aggravé, ce qui est possible en droit américain si la contrefaçon a été commise en connaissance de cause, ce qu’on pourrait traduire en français par : « contrefaçon de mauvaise foi ». Il faut noter qu’en droit français, la bonne foi est indifférente, et cette expression signifie d’abord que même si vous démontrez que vous avez commis une copie sans vraiment le vouloir, cela ne change rien à l’existence de la contrefaçon. Cela signifie aussi que contrairement au droit américain, ce n’est pas parce que vous êtes un méchant garçon que vous paierez plus cher en termes de dommages et intérêts (au moins en théorie, même si les tribunaux ont évidemment la main un peu plus lourde pour celui qui apparaît à leurs yeux comme un méchant garçon).

Apple peut aussi demander une injonction à l’encontre de Samsung pour que Samsung ne puisse plus vendre sur le territoire des États-Unis certains de ses modèles de téléphone portable ou de tablettes.

Parallèlement, Samsung, dans le grand jeu de go que constitue la bataille de droits de propriété intellectuelle avec Apple, a obtenu d’un tribunal sud-coréen une décision qui lui est légèrement favorable (sur le site de Florian Muller, cette décision est très sévèrement critiquée : http://www.fosspatents.com/2012/08/apple-samsung-ruling-suggests-south.html ).

A noter aussi que Samsung n’est pas le seul perdant : le jugement était extrêmement sévère à l’égard de Google et pourrait mettre en difficulté le système d’exploitation Android qui équipe les matériels de Samsung mais aussi d’autres matériels.

Un commentaire qui m’est venu à l’esprit très rapidement est le suivant : pour les amateurs de football, ils comprendront que gagner à domicile est toujours un peu moins difficile. Or, le jugement a été rendu en plein milieu de la Silicon Valley. Quel que soit l’efficacité de la procédure américaine qui permet de récuser tous les jurés potentiels ayant la moindre préconception, il paraît quand même difficile d’imaginer que le jury était favorable au sud-coréen contre la société qui a amené une prospérité sans équivalent dans l’histoire à cette partie du territoire américain !

Et en pratique ? La question qu’on peut se poser est de savoir si ce jugement a un impact sur nos vies au quotidien. Je ne veux pas entrer dans une grande discussion philosophique. Je suis favorable au système de la propriété intellectuelle, mon opinion est que le système de brevet est trop favorable aux États-Unis et comme je l’ai indiqué récemment sur Twitter, le système des brevets logiciels aux États-Unis est très régulièrement mis à mal par les décisions judiciaires. Les tribunaux s’opposent à la vision extrêmement laxiste du bureau américain des brevets, l’USPTO (http://www.bennettjones.com/Publications/Updates/Patent_Eligibility_of_Computer-Implemented_Inventions_Further_Delineated_by_U_S__Court/ ).

Il y a aussi à propos de la firme à la pomme un mélange de passion parfois béate qui amène à sur investir sur le plan émotif ce qui est favorable à cette grande maison. Par souci de transparence, je précise que je ne suis pas équipé d’outils Apple : j’ai un téléphone portable Galaxy Note, une tablette Samsung, je réfléchis sérieusement à m’équiper d’un iPad, mais comme je n’ai pas un amour immodéré des systèmes fermés (Steve jobs disait : « cohérents » ;), j’hésite encore. Et je ne travaille ni pour l’un, ni pour l’autre.

Pour les éditeurs de logiciels français, ce jugement ne change rien, sauf peut-être pour les éditeurs de solutions sous Androïd, car il est probable que Google va être obligé de mettre en place des solutions de contournement dans la prochaine version de son système d’exploitation pour éviter de violer de manière trop frontale les brevets Apple.

Pour les utilisateurs français, il n’y a en vérité probablement pas de conséquences à attendre dans les prochaines semaines. Le montant en jeu paraît tout à fait considérable (d’autant plus que la note pourrait être alourdie par le juge),mais compte tenudu nombre faramineux de terminaux qui sont vendus dans le monde, un rapide calcul montre que le prix unitaire pourrait peut-être augmenter de 10 ou 15 €. Pour des tablettes qui valent en moyenne 300 € et des téléphones qui sont souvent d’un prix supérieur à 500 €, la conséquence paraît faible.

Sous l’angle purement national, le jugement n’a pas de portée pratique. Parmi les nombreux procès menés entre Apple et Samsung, une seule décision a été rendue en France (http://www.legalis.net/spip.php?page=jurisprudence-decision&id_article=3290 ) : c’est une ordonnance de référé et elle a considéré que Samsung ne faisait pas suffisamment la preuve qu’Apple avait violé ses brevets. Une affaire est toujours en cours devant le tribunal de grande instance de Paris (qui est la seule juridiction compétente en matière de brevets en France) mais le jugement n’est pas attendu avant plusieurs mois. Je ne connais pas l’affairedans le détail, je m’autorise à pronostiquer que le jugement ne sera pas nécessairement favorable au système des brevets logiciels. Les juridictions françaises sont traditionnellement assez réticentes à l’égard de ces brevets (en termes plus détaillés, à l’égard des brevets protégeant des inventions mises en œuvre par des logiciels…).

Il n’y a pas que le brevet qui soit utilisé par Apple, dans cette bataille judiciaire, Apple utilise aussi le droit des dessins et modèles : sur ce point, la situation, même à l’échelle de l’Europe toute entière, est globalement favorable à Samsung. En Allemagne, la tablette Galaxy 10.1 a été interdite à Noël dernier, mais Samsung a très rapidement lancé une nouvelle version avec un design un peu différent. Et quant à la Grande-Bretagne, un juge a rendu une décision assez savoureuse qui dit que Samsung n’a pas contrefait le design d’Apple car les tablettes de Samsung sont nettement moins « cool » (c’est exactement l’expression qu’il a utilisée !).

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Bernard Lamon
Bernard Lamon
BL@nouveaumonde-avocats.com

Avocat fondateur, spécialiste en TIC. Voir ma fiche complète.