12 Juil 2019 Logiciel libre : la licence est un contrat, et sa violation n’est pas une contrefaçon (jusqu’à quand ?)

(Cet article a été publié il y a 4 ans.)

Un jugement du tribunal de grande instance de Paris du 21 juin 2019 (disponible ici sur legalis.net) confirme deux éléments importants du droit en matière de logiciel :

  • d’une part, la licence de logiciel libre (comme GPL ou Apache) est un contrat juridiquement valide,
  • d’autre part, la violation d’un contrat de licence par le licencié n’est pas une contrefaçon, mais une (simple) violation de contrat.

La première partie de la décision est intéressante : elle confirme que les contrats de licence libre sont des outils juridiques réels et efficaces. La jurisprudence en la matière n’est pas très fournie, donc la décision est intéressante. La même chose avait été jugée par la cour d’appel de Paris dans une décision du 16 septembre 2009 (arrêt EDU 4). De ce côté-là, rien de nouveau, donc, mais l’affirmation qu’un contrat de licence libre est un « vrai » contrat au sens juridique. On peut en tirer une conclusion pratique : cliquer sur un formulaire pour adhérer à une licence libre vous engage, et vous confère des droits qui ne sont pas illimités. Par exemple, le logiciel accessible par une licence libre n’est pas nécessairement gratuit. Il existe une maxime à ce sujet attribuée à Richard Stallman : free as in free speech, not as in free beer. Libre comme la liberté d’expression, mais pas gratuit. La traduction ne peut pas jouer sur la polysémie du mot : « free » (libre ou gratuit).

La deuxième partie de la décision est un peu étonnante. On sait que depuis quelques années, il y a deux tendances de jurisprudence. Certaines juridictions (CA Versailles 12e ch 1er sept 2015 n 1308074 notamment) jugent que la violation d’une licence de logiciel est une contrefaçon. D’autres (la cour d’appel de Paris) sont d’un avis contraire. Dans un arrêt du 16 octobre 2018, la cour d’appel de Paris a posé une question préjudicielle à la cour de justice de l’Union européenne. Pour être transparent, l’auteur de ces lignes est l’auteur de cette demande de question posée à la CJUE.

L’impact pratique de la question est considérable. Si la violation d’une licence n’est pas une contrefaçon, il faut fonder sa demande sur de la violation de contrat, et pas sur de la contrefaçon.

Le tribunal compétent est différent : tribunal de commerce pour du contrat, tribunal de grande instance pour la contrefaçon. Et les dommages et intérêts qui peuvent être obtenus sont différents aussi : ils sont normalement plus élevés en contrefaçon qu’en violation de contrat.

La réponse à cette question sera donc donnée d’ici la fin de l’année par la CJUE.

On peut donc trouver un peu étonnant que le tribunal ait jugé en ce sens, alors qu’il aurait pu attendre quelques mois. Comme l’affaire était déjà très ancienne, car elle avait commencé en 2011, retarder le jugement de quelques mois n’aurait pas été bien gênant. Mais c’est peut-être justement parce que l’affaire était ancienne que le tribunal n’a pas voulu reporter sa décision.

Il reste à voir si la société qui a perdu va faire appel. Si c’est le cas, la cour d’appel saura ce que pense la CJUE sur ce sujet précis…

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Bernard Lamon
Bernard Lamon
BL@nouveaumonde-avocats.com

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