28 Déc 2010 Liberté d’expression des anciens salariés sur Internet : un jugement bien sévère.

(Cet article a été publié il y a 13 ans.)

Dans un jugement du 13 décembre 2010, le tribunal de grande instance de Béthune a condamné un ancien salarié d’une société créant des sites web à retirer les propos qui avaient été postés sur le blog personnel de l’ancien salarié, à payer 1€ de dommages et intérêts et 10.000 € de frais de publication de la décision.

La procédure est assez complexe. Ce qu’on comprend peut se résumer : l’ancien salarié avait démissionné au bout de deux mois de la société Kemmen. Cette société a pour activité de créer des sites internet pour les TPE (artisans, petits commerçants). Ses méthodes de vente sont parfois critiquées.

Après sa démission en août 2006, l’ancien salarié crée une société de référencement internet. Il publie parallèlement trois articles (dont on ne connaît pas le détail…) critiquant son ancien employeur.

L’ancien employeur l’assigne devant le tribunal de grande instance pour obtenir sa condamnation en utilisant trois arguments :

–          Concurrence déloyale par dénigrement (ce qu’on pourrait traduire par : « vous dites du mal de moi sur internet pour me concurrencer »),

–          Concurrence déloyale par parasitisme (« vous vous faites plus ou moins passer pour moi, ou vous tirez parti de ma réputation pour me concurrencer »),

–          Violation de la clause de confidentialité contenue dans son contrat de travail.

L’ancien salarié répond en s’abritant d’abord derrière le fait que le tribunal de grande instance n’est pas compétent car la société a aussi saisi le tribunal de commerce à ce sujet. Là-dessus, il obtient gain de cause sur les deux premières demandes : elles sont rejetées.

L’ancien salarié s’abrite derrière la liberté d’expression pour justifier la publication de ses billets sur des blogs. Là, le tribunal retient que la liberté n’est pas sans limite et que son abus peut être sanctionné. De plus, une clause de confidentialité dans un contrat de travail est valable dans le principe.

Le tribunal condamne donc le salarié.

Ce jugement laisse un goût d’inachevé, pour trois raisons.

D’abord, de ce qu’on peut voir des messages, ils ne semblent pas révéler d’informations confidentielles. Peut-être que le tribunal a souhaité ne pas participer à la révélation de ces informations. Mais c’est bien gênant pour le commentaire, parce qu’on ne sait pas déterminer ce qui a conduit le tribunal à trancher en faveur de l’ancien employeur. C’est surtout gênant par rapport à l’article 455 du code de procédure civile qui prévoit que tout jugement doit être motivé. Or, une motivation très générale équivaut à une absence de motivation.

Ensuite, parce que ce qu’on peut comprendre de ces messages en butinant sur Internet paraît en l’état bien anodin : l’ancien salarié révèle qu’il est resté deux mois parce qu’il désapprouvait les méthodes commerciales de son ancien employeur… le tribunal rajoute que l’ancien salarié aurait révélé des informations secrètes, mais on ne sait pas lesquelles.

Enfin, en théorie, un procès contre un ancien salarié pour violation d’une clause de son contrat de travail doit être porté devant le conseil des prud’hommes (article L 1411-1 du code du travail). Peut-être le problème n’a-t-il pas été soulevé devant le tribunal.

Quel enseignement en tirer ?

Pour le salarié qui veut démissionner pour créer sa structure (ou qui l’a déjà fait), avant de s’exprimer sur internet : consulter son contrat de travail. S’il existe une clause de confidentialité, mieux vaut s’abstenir (ou au moins, bien y réfléchir…).

Pour l’employeur, qui veut protéger son image de marque : insérer ce type de clause (dans le contrat d’origine ou par un avenant). Attention, leur rédaction n’est pas simple : un conseil de prud’hommes sourcilleux pourrait y voir une clause de non-concurrence déguisée…

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Bernard Lamon
Bernard Lamon
BL@nouveaumonde-avocats.com

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