24 Août 2015 La photo du plat est couverte par le droit d’auteur : le #FoodPorn saisi par le droit

(Cet article a été publié il y a 8 ans.)

Il serait donc devenu illégal de poster des photographies d’assiette gastronomique sur les réseaux sociaux, au moins en Allemagne.

C’est en tout cas ce que nous annoncent des journaux français qui reprennent un article du journal Die Welt.

N’étant pas spécialiste de droit allemand, je ne peux pas commenter cet article, ni l’arrêt évoqué dans l’article de Die Welt. En revanche, en tant que spécialiste en droit de la propriété intellectuelle, je peux vous aider à comprendre comment le sujet se pose aussi en droit français en répondant successivement à cinq questions.

Première question : une recette de cuisine est-elle protégée par le droit ? Ça gêne beaucoup l’industrie agroalimentaire, qui aimerait bien protéger les recettes industrielles, mais il semble bien qu’à part le secret et les contrats qui organisent ce secret (comme les contrats de confidentialité) aucun droit de propriété intellectuelle ne protège une recette. Ni le brevet, ni le droit d’auteur. C’est donc parfaitement clair : vous ne risquez rien à reproduire les recettes d’un chef réputé (ou n’importe quelle recette). Mais la question reste ouverte pour l’apparence du plat.

2e question : l’apparence d’un plat gastronomique (c’est-à-dire le résultat que vous avez dans votre assiette) est-elle protégé par le droit d’auteur ? Pour répondre à cette question, il faut ouvrir son code de la propriété intellectuelle (tout le monde peut le faire sur www.legifrance.gouv.fr), et obtenir la liste de l’article L 112 – 2. Cet article nous précise que sont considérés notamment comme œuvres de l’esprit les livres les conférences etc. L’article se rapproche de l’inventaire à la Prévert, puisqu’il regroupe en même temps les logiciels, les œuvres de dessins, les cartes géographiques…

L’article ne prévoit pas expressément que sont considérées comme des œuvres de l’esprit des préparations culinaires ou leur apparence. Mais on considère depuis toujours que cette liste n’est pas limitative. Il est donc possible de considérer que l’apparence d’un plat gastronomique peut être protégée par le droit d’auteur. C’est en tout cas ce qu’a jugé la cour d’appel de Paris dans un arrêt du 26 avr. 2006, (Société Délice Company c/ Mme Karen Wells) qui a décidé que les photographies (et le formatage particulier des recettes de cuisine publiées dans le magazine), et plus généralement « l’ensemble de la composition graphique » de ce dernier, « lui confèrent une identité propre qui le distingue des autres publications existantes, indépendamment de son contenu éditorial ».

Il reste néanmoins une grande difficulté : dans cet arrêt de 2006, la cour d’appel a protégé des photographies de plat gastronomique. Mais le plat gastronomique en lui-même pourrait-il être considéré comme une œuvre ?

Si c’est la photographie qui est protégée par le droit d’auteur, ce sera le client qui pourra revendiquer des droits d’auteur sur la photographie. Si c’est l’apparence du plat qui est protégé par le droit d’auteur, ce sera le restaurateur.

Je n’ai pas trouvé de décision pour trancher le sujet. Mais rien ne s’oppose à ce que le droit d’auteur soit reconnu au cuisinier. Sauf qu’il existe une tendance en droit français qui rejette aux oubliettes du droit d’auteur certains produits en considérant qu’ils ne sont que le résultat d’un savoir-faire. C’est le cas du parfum que la Cour de Cassation persiste à ne pas vouloir protéger par le droit d’auteur en considérant qu’il est le simple résultat d’un savoir-faire artisanal.

Il n’est donc pas du tout certain que le cuisinier puisse faire valoir des droits d’auteur sur son plat !

3ème question : l’apparence de tous les plats est-elle protégée ? Comment ce qui concerne toutes les œuvres protégées par le droit d’auteur, il faut, pour bénéficier de la protection par le droit d’auteur, que les tribunaux considèrent que l’œuvre est originale. La question de l’originalité d’une sculpture ou d’un roman est déjà particulièrement difficile à trancher. Pour faire simple, certains considèrent qu’une œuvre est originale si elle porte l’empreinte de la personnalité de l’auteur. Pour un autre courant, qui dit originalité dit effort personnalisé. Dans les deux cas, la définition n’est pas facilement applicable. On peut raisonnablement supposer qu’un plat quelconque ne sera pas protégé par le droit d’auteur, tandis que le plat d’un grand chef, dont la composition, l’arrangement, les couleurs, les nuances révèlent sa personnalité sera probablement considéré comme assez original pour être protégé.

4e question : en supposant que le plat soit effectivement protégé par le droit d’auteur, le chef peut-il se plaindre ? Il faudrait d’abord que le titulaire du droit d’auteur soit bien le chef. Or si l’élaboration d’un plat est généralement le privilège du chef, la fabrication elle-même du plat proprement dit est souvent confiée à des cuisiniers de son équipe. Dans ce cas, on pourra objecter au chef cuisinier qu’il n’est pas l’auteur du plat mais son concepteur, ce qui n’est pas la même chose. Si on peut risquer une analogie, on se retrouve dans la situation de celui qui élabore un logiciel (en donnant les « bonnes idées »), y compris de manière extrêmement détaillée et technique, mais qui n’a pas de droit d’auteur. Le droit d’auteur est seulement reconnu à celui qui code le logiciel. C’est ce que la Cour de Cassation a indiqué dans une décision de principe du 15 janvier 2015, commenté sur un excellent blog (auto-promo).

Il resterait encore la possibilité pour l’entreprise qui exploite le restaurant de tenter de faire valoir que le plat constitue une œuvre collective au sens de l’article L113 – 2 du code de la propriété intellectuelle. Les conditions de l’œuvre collective ? Il faut que l’œuvre soit créée sur l’initiative d’une personne qui la divulgue sous sa direction et son nom. Jusque-là tout va bien (pour le restaurateur) : le plat est amené sur votre table (c’est une forme de divulgation) et tout cela est fait sous le nom de Troisgros ou de la tour d’argent. Il faut aussi que la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fondent dans l’ensemble en vue duquel l’œuvre est conçue sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé. Là aussi, dans les plats complexes réalisés dans les restaurants gastronomiques, la condition sera souvent remplie. Le plat gastronomique sera donc très souvent défini comme une œuvre collective.

5e étape : en supposant que le chef (ou le restaurant) puisse revendiquer le droit d’auteur, prendre le plat en photographie sans son autorisation est-il une contrefaçon ? Certains journalistes ont indiqué qu’il fallait pour cela que le chef du restaurant manifeste son opposition, soit par une mention expresse sur les menus, soit par un panonceau à l’entrée du restaurant. C’est bien le seul point sur lequel je peux être affirmatif. Il n’est pas du tout nécessaire qu’il y ait une telle mention. Si on considère que les précédentes étapes sont remplies, et que le droit d’auteur appartient au chef, c’est à celui qui veut prendre la photographie d’obtenir l’autorisation du titulaire des droits d’auteur. Ne tentez pas de faire valoir votre bonne foi : selon une expression bien éclairante, la bonne foi est indifférente en matière de contrefaçon. Le tribunal en tiendra peut-être compte pour ne pas avoir la main trop lourde en termes de dommages-intérêts, mais cela ne fait pas disparaître la contrefaçon qui est définie par la loi comme la reproduction sans autorisation d’une œuvre protégée par la loi.

Résumons : il n’est pas certain qu’un plat soit protégé dans le principe par le droit d’auteur. De toute façon le tribunal qui serait saisi exigerait que le plaignant démontre l’originalité de son œuvre (ce qui n’est pas simple). En plus, il n’est pas certain que le chef cuistot soit le titulaire du droit d’auteur, c’est peut-être le second couteau. Mais si tout est considéré comme satisfaisant par un tribunal, l’internaute sera condamné au moins à une peine de principe. Ah, dernier point : le texte définissant la contrefaçon parle de l’édition d’une œuvre sans autorisation. Donc, théoriquement, si vous prenez une photo sans le poster, il n’y a pas contrefaçon.

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Bernard Lamon
Bernard Lamon
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