13 Mai 2014 Google vs. Oracle : l’API est protégé par le droit d’auteur. Alors, Happy ? (c) Pharell Williams

(Cet article a été publié il y a 9 ans.)

Il y a chaque année quelques décisions essentielles en droit de l’informatique, qui servent de grands indicateurs à ceux qui sont intéressés par la matière, et plus généralement à l’industrie informatique. La décision du 9 mai 2014 dans l’affaire Oracle/Google devant la cour d’appel des Etats-Unis (5ème Circuit) en est une.

Ces décisions sont parfois mal interprétées, ce qui peut se concevoir, car la matière juridique est technique. Ce qui amène le plus d’incompréhensions n’est pas le caractère technique du droit en cause, mais le lobbying effronté de la part de certains acteurs, et/ou les idées arrêtées (on dit aussi : les pré-conceptions) d’autres acteurs.

C’est ainsi que j’ai pu entendre un avocat travaillant pour Oracle soutenir que la décision de la Cour de Justice de l’Union Européenne du 3 juillet 2012 (qui est une grande défaite pour Oracle) était en fait une victoire. Les partisans extrêmes du logiciel libre (j’en suis un, mais de la catégorie modérée) nous assènent trois fois par an que telle décision (ré-affirmant que le logiciel est juridiquement protégé par exemple) annonce la mort de la liberté de création.

Pour y voir clair dans ces prises de décisions, le mieux est de se référer à la décision elle-même. Le problème est qu’elle est rédigée en anglais américain, qu’elle fait 69 pages, et surtout, surtout, ami lecteur, qu’elle applique le droit américain (surprise !). On peut aussi lire des commentaires raisonnables, comme ceux de Florian Muller, mais ils sont en anglais et assez techniques (FossPatents aussi sur Twitter : votre serviteur aussi y est ). Par ailleurs, Florian Muller donne à ses commentaires une vision très globale (au sens d’une vision qui intéresse les acteurs mondiaux, type Google ou Oracle justement).

L’objectif du présent billet est de vous proposer un résumé des faits, de la solution juridique retenue, et d’évaluer l’impact de la décision en droit français (et même européen).

Les faits sont simples : Google a récupéré des lignes de code de Java, qui sont la propriété d’Oracle. Oracle les a mis à disposition de la communauté avec une licence libre, mais sous la condition que ce code ne soit pas modifié. Google a modifié quelques lignes de code et l’admet.

Le premier juge avait décidé que ces API n’étaient pas protégés par le droit du copyright. Mon opinion est qu’il avait tort (mais c’est un point de vue très modeste, qui suis-je pour critiquer la décision d’un juge américain ?).

En fait, comme en droit européen, le droit américain protège le logiciel par le droit d’auteur (le droit du copyright). Pas par le droit du brevet : première idée pré-conçue chez beaucoup de lecteurs français.

Le droit américain pose une condition qui est la même qu’en Europe pour la protection du logiciel : le logiciel doit être original, et le droit ne protège pas l’idée ou la fonction, mais seulement la manière dont le code est écrit.

Sur ces bases, comme Google a repris du code de certaines API de Java, en les modifiant sans autorisation d’Oracle, le titulaire des droits de propriété intellectuelle, la condamnation pour contrefaçon a été prononcée. Google avait admis l’originalité des API Java, ce qui conférait la protection du droit du copyright selon la section 102(a) du US Code. Mais Google soutenait que la fonction technique des API Java vidait ce droit d’auteur, en s’appuyant sur la Section 102(b). La cour d’appel a rejeté l’argument de Google.

Mais, mais, Google n’a pas nécessairement perdu, car la Cour d’Appel a renvoyé l’affaire devant un jury pour déterminer si Google pouvait profiter d’une exception qui lui permettrait d’échapper à toute condamnation, l’exception de « fair use ». Expliquer ce qu’est cette exception dépasserait largement le cadre de ce billet. Disons que sous certaines conditions, on peut utiliser une oeuvre protégée par le droit d’auteur à condition d’en faire un usage « fair » (raisonnable et équitable). Il suffit de retenir que le dossier n’est pas définitivement clos pour Google, mais qu’Oracle a gagné la première manche (et haut la main !).

Pour bien comprendre de quoi il s’agit, il faut savoir ce qu’est une API. Allons demander à notre ami Wikipedia. Et on apprend que l’API est une interface de programmation, ce qui permet à plusieurs logiciels (deux ou plus) de se parler.

Tout étant posé sur la table, quelles conséquences peut-on tirer en droit français et européen de cette décision ? On peut mener le raisonnement d’un coup sur tout le territoire européen car la cour de justice de l’union européenne a rendu plusieurs décisions qui unifient le droit du logiciel en Europe et le droit français du logiciel provient directement d’une directive européenne. Le raisonnement doit donc être mené directement sur la base de la directive (le texte et mon commentaire sur ce texte).

On peut donc résumer l’état du droit en Europe sur les API :

  1. Une API peut être protégée par le droit d’auteur à condition d’être originale (ce qui est difficile à définir de manière générale, mais la jurisprudence française semble assez exigeante pour octroyer la protection). voir article 1.3 de la Directive et une illustration commentée en alexandrins.
  2. Dans tous les cas, le langage de programmation, les commandes, les mots-clefs, ne sont pas protégés par le droit d’auteur : voir Directive, article (voir la décision de la CJUE du 2 mai 2012, SAS/ World Programming).
  3. Un logiciel protégé par le droit d’auteur peut être décompilé et modifié si c’est indispensable pour assurer l’interopérabilité entre deux logiciels : Directive article 6.

Voilà. Pas plus, pas moins. D’accord, c’est complexe. Mais cela n’interdit à personne de développer du logiciel, et d’en faire son gagne-pain. Bien au contraire. Mais pour en faire un gagne-pain légal et sans risque d’action judiciaire qui peut aboutir à des dommages et intérêts importants, il faut vérifier la conformité de ses pratiques au droit existant.

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Bernard Lamon
Bernard Lamon
BL@nouveaumonde-avocats.com

Avocat fondateur, spécialiste en TIC. Voir ma fiche complète.